L'innocent Devint Une Proie
Tout commença avec la famille Santorini. Des sorciers italiens qui se croyaient supérieurs au point de vouloir orchestrer dans l'ombre leurs propres jeux de cirque à la différence qu'au lieu de gladiateurs, ce seront des créatures surnaturelles de toutes sortes qui s’affronteront pour leurs bons plaisirs. Tels des éleveurs, ils choisissaient scrupuleusement leurs futurs combattants afin d'offrir le meilleur spectacle possible. Parfois, ils trouvaient des candidats déjà transformés à qui ils faisaient miroiter un refuge. Parfois, ils choisissaient des humains et se chargeaient eux-même de mettre en place la série d’événements qui conduira à leur transformation. Surtout concernant les loups-garous. Il s'agissait d'une méthode bien rodée. On trouvait un humain avec du potentiel et dont la disparition n’inquiéterait pas les autorités. Ensuite, ils promettaient à leur loup-garou d'obtenir sa liberté en échange d'une morsure sur cette cible. Et voilà comment on obtenait un combattant tout neuf pour l'arène.
C'est dans ce but qu'ils se rapprochèrent de la famille Nerotti, au point de devenir bons amis avec eux. Une famille trempant dans des activités illégales et possédant deux magnifiques enfants. Les sorciers délaissèrent rapidement leurs attentions de la cadette qui était atteinte de surdité pour se concentrer sur l'aîné, Lysandro, un jeune homme qui remplissait toutes les qualités requises. Aussi fort qu'impétueux, se croyant tout permis à cause du nom de sa famille. Facile à manipuler, facile à briser.
Lysandro avait tout et pourtant il arrivait à s'ennuyer. C'était une sorte d'ennui que seul les gosses de riches pouvaient connaître. Un besoin d'adrénaline. On le voyait le plus souvent assis dans un coin, tapant nerveusement des pieds, fumant une cigarette, attendant le bon moment pour lâcher une réplique acide ou provoquer une bagarre. N'importe quoi qui pouvait donner un peu de piquant à sa journée. Sauf que dès qu'on apprenait qui il était, on s'excusait au lieu de le punir. Les amis n'étaient pas mieux, tous des hypocrites le glorifiant à aux moindres de ses actions. Bien qu'il était né avec une cuillère d'argent dans la bouche, il était frustré par une vie bien trop parfaite.
- Avez-vous déjà songé à la chasse ?" Lui avait glissé un jour le chef de famille Santorini.
- La chasse ?" Avait répété le jeune Lysandro tout juste âgé d'une vingtaine d'années au moment de cette conversation.
- Oui ! Les montagnes grouillent d'animaux sauvages. Être seul face à la nature, prendre une vie. Il n'y a rien de plus excitant." Argumenta le sorcier italien.
L'argumentation fit mouche. Lysandro traîna quelques amis dans une virée nocturne en montagne avec un fusil piqué à son père. L'expérience lui plus tellement qu'il renouvela l'expérience chaque mois. Parfois, la joyeuse bande s'attardaient en forêt pour traquer du petit gibier. Lorsque son père commença à lui poser des questions sur ses absences mystérieuses en pleine nuit, monsieur Santorini avait pris sa défense. C'était devenu leur petit secret. Lysandro avait confiance en monsieur Santorini, ignorant qu'il s'agissait d'un sorcier l'approchant avec une idée bien précise derrière la tête. Alors quand ce dernier parla de rumeurs sur la présence d'un loup et lui conseilla d'attendre la pleine lune qui offrait une clarté idéale pour ce genre de chasse... Le jeune chasseur en herbe n'eut aucune raison de se méfier et remercia le sorcier pour l'information, ignorant que cette partie de chasse allait changer sa vie.
La bête lui semblait bien plus grosse qu'un loup ordinaire. Lorsqu'il exprima cette impression, ses amis lui assuraient qu'il imaginait des trucs. "Ce n'est qu'un loup, un crétin de Loup." Assuraient-ils. Et pourtant... Il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une sale impression. Les heures passèrent et le loup leur filait constamment entre les doigts. Jamais à porter de tir, mais se montrant toujours brièvement lorsqu'ils pensaient en avoir perdu la trace. Les autres renoncèrent petit à petit sous divers prétextes. Le jeune homme, lui, décida de s'acharner. Il n'avait jamais connu l'échec avant. L'idée de rentrer bredouille lui était insoutenable.
Après une demi-heure supplémentaire de chasse, il finit par coincer la bête. Il visa pour mettre fin à la partie... Le loup fonça vers lui avec une rapidité qui le surprit. Lysandro recula, le coup de fusil partit sans rien toucher. Alors que le monstre se jetait sur lui, il crut que sa dernière heure était arrivée.
La Proie Devint Un Loup Sauvage
Parmi toutes les blessures qu'il reçut cette nuit-là, la morsure passa complètement inaperçue. Il se réveilla dans la vieille bâtisse style gothique de la famille Santorini. À nouveau, lorsque monsieur Santorini lui raconta comment il l'avait trouvé et qu'il devait rester le temps d'être remis sur pied, Lysandro n'avait aucune raison de suspecter un mensonge ou de se sentir prisonnier quand bien même son séjour semblait s'éterniser. "Tu es encore trop faible pour sortir." Lui assurait le sorcier. Et c'était vrai que, même si ces blessures avaient guéri étonnamment vite, le jeune italien ne se sentait pas en forme. Il avait des sensations bizarres. Le moindre bruit lui vrillait la tête et son odorat était continuellement saturé par ce qui l'entourait. Son état empirait tandis que sa première pleine lune approchait.
Avec cette nuit, se révélèrent les véritables intentions de ses sauveurs. Alors qu'il peina à marcher tant le moindre muscle le faisait souffrir, on le conduisit en sous-sol, soi-disant pour le soigner. À la place, on le jeta dans une cage. Lysandro n'eut pas le temps de se demander ce que tout cela signifiait que la transformation commença. De cette première pleine lune, il ne garda que le souvenir du goût du sang, de ses hurlements mêlés à ceux de son adversaire et des rires de ceux qu'il avait pris pour des personnes de confiance.
Il n'avait aucune idée de ce qui lui arrivait. La douleur fut son seul professeur. Il comprit douloureusement que les barreaux de sa cage le brûlaient s'il le touchait. Le fait d'ignorer qu'il s'agissait d'un alliage en argent ne l'empêchait pas de les craindre. Il apprit aussi que si une autre personne entrait dans la cage, il s'agissait d'un ennemi. Ses pensées étaient embrouillées à la fois par ce qu'il était devenu et la présence d'Hécatolite dans sa cage. Il combattait. On le soignait. On l'affamait assez pour qu'il se rue sur le coeur du perdant. Bien qu'on n'attendît pas toujours la pleine lune pour le faire combattre, Lysandro se battait avec la même férocité animale. Il ne réfléchissait plus. Ce n'était qu'une boule d'instinct, de peur et de colère.
Combien de temps cela dura ? Combien de temps de ce traitement fallait-il pour effacer toute trace d'humanité chez quelqu'un ? Il serait incapable de le dire. Des semaines ? Des mois ? Un an ? Plus ? Ce cauchemar semblait duré depuis une éternité. Jusqu'au jour où son regard accrocha des yeux vairons dans la foule. Un bref instant. Le temps d'un battement de coeur et d'un souffle retenu, d'un parfum inconnu humé brièvement. Puis les lois de la cage reprirent leurs droits et il se jeta sur son adversaire du soir. Autour de lui régnait le chaos d'un massacre, mais le jeune loup était trop concentré par le combat pour le remarquer. Il avait appris que prêter attention à ce qui se passait en dehors de la cage pouvait lui coûter cher.
Blessé mais victorieux, il venait de dévorer le coeur du perdant lorsqu'il remarqua enfin le silence. Le loup leva la truffe de son festin en sentant de nouveau ce parfum inconnu. C'est là qu'il vit Primrose, elle aussi maculer de sang. Lysandro vit la tête du sorcier roulé vers sa cage. Tant d'émotions se bousculèrent en lui qu'il ne savait pas à laquelle céder. Perplexité, méfiance ainsi qu'une pointe de soulagement et de joie mauvaise se bousculaient dans sa tête. Il se laissa guider par son instinct. Bien que blesser, il émit un grognement de mise en garde tout en reculant dans sa prison, prêt à bondir si la vampire se décidait à attaquer.
Le Loup Devint Un Chien Docile
Elle le maîtrisa avec une facilité déconcertante. En un rien de temps, il se retrouva enchaîné dans ce qui ressemblait à une chambre d'hôtel, puis ailleurs, dans un autre pays, et, surtout, dans un luxe auquel il n'était plus habitué à vivre. Perdu et plus méfiant que jamais, Lysandro mit en doute toutes les marques de bonté qu'il recevait. Si les soins apportés lui faisaient de nouveau ressembler à un humain civilisé en apparence, à l'intérieur il était toujours l'animal maltraité et perdu. Les jours s'écoulaient, les nuits de pleine lune s'enchaînèrent sans que l'ombre d'un combat ne se profile à l'horizon. Pourtant, il devait bien avoir un combat, non ? Sinon pourquoi lui apprendre à être plus fort ? À maîtriser le loup en lui ? À le nourrir et le soigner ?
"Quand... Quand aura lieu le prochain combat ?" Finit-il par demander après un an de ce traitement, persuadé d'être simplement passé d'un maître à un autre. Sa voix était proche du croassement. Il y avait bien longtemps qu'il s'était plongé dans le mutisme.
Sa sauveuse se fige, et, pendant un instant horrible, Lysandro crut l'avoir percé un jour et voir son comportement changé comme l'avait fait le sorcier italien. Primrose lui prit délicatement le visage. « Tu ne vas plus combattre... je t’ai soigné depuis un an tu as cru que j’étais comme eux ? » Lui dit-elle avec douceur. Lysandro fronça les sourcils d'incompréhension, n'osant croire à ce qu'il venait d'attendre. "Je... Alors... Pourquoi ?" Questionna-t-il en faisant un geste qui englobait à la fois le collier qu'il portait et la pièce où il se trouvait. « Tu ... je t’enferme ici pour te protéger, mais tu es libre. Je ne veux juste pas que ma reine le sache. C’est compliqué pour le moment. Tu as encore peur avec moi ? » La tension qui crispait le corps de l'italien fondit d'un seul coup pour faire place à un immense soulagement. "Non. Je n'ai plus peur." Chaque mot trahissait une reconnaissance qu'il pouvait enfin éprouver, maintenant qu'il était libéré de toute méfiance.
Petit à petit, il put se reconstruire. Lucius se chargeait des apprentissages 'ennuyeux', tout ce qui était lié à la théorie et aux protocoles ou encore l'anglais. De son côté, Lysandro apprit le langage des signes à Primrose, juste pour pouvoir échanger quelques remarques sous les nez du majordome sans être compris par ce dernier. Avec la vampire, il se montrait espiègle et taquin. Il réapprenait à rire. Il redevenait l'homme qu'il était avant tout cela, avant d'être un loup. Un peu plus chaque jour, le collier qu'il portait lui devenait insupportable à porter, lui rappelant sa condition de monstre. Un collier pour l'animal qu'il était. Un jour, agacé, il l'arracha, détruisant du même coup la seule chose qui cachait son existence à la reine.
Ce fut une erreur. Dès qu'il vit la reine, furieuse et réclamant sa mort, il comprit à quel point il s'était montré sot. Primrose fut puni à sa place, parce qu'elle l'avait cachée et parce qu'elle avait essayé de le défendre. D'une certaine façon, c'était pire que d'être puni lui-même.
Qu'aurait-il dû faire ? Attendre la prochaine pleine lune et tenter de sauver Primrose par la force ? Peut-être aurait-il agi ainsi autrefois, mais la scène avec la reine l'avait profondément marqué. Lysandro était envahi d'une volonté nouvelle. Une volonté qui le rendit froid et méthodique. Pendant trois mois, il s'évertua à prouver que le projet de garde royale proposé par sa sauveuse était viable. Il choisit des Omégas et des gammas, des loups sans meutes et les forma pour devenir des chiens dociles. L'italien éliminait en personne les faibles, les éléments trop rebelles ou ceux qui se montraient décevants. Il n'y avait aucune hésitation en lui, même lorsqu'il fallait obéir aux pires besognes.
Au début du quatrième mois, la reine annonça qu'elle leva la punition de Primrose. Sans hésité, Lysandro alla chasser un humain pour le ramener en guise de repas à sa sauveuse. La puanteur lui agressa l'odorat tandis que le spectacle provoqua un pincement au coeur. Ressemblait-il à cela lors de leurs premières rencontres ? Sans un mot, il posa le corps aux pieds de la vampire enchaînée. Puis, il brisa le silence pour répéter ce que Primrose lui disait lorsqu'il se montrait réticent à se nourrir. " Tu ne devrais pas attendre… On ne refuse pas des mets de choix " Sur son visage, un mince sourire à la fois doux et espiègle, tandis que dans ses yeux brillait une lueur de gratitude. Après que la vampire se soit repu de tout le sang de la victime, il la porta hors de cette prison, la débarrassa avec douceur de toute sa crasse, l'habilla, la coiffa et la porta de nouveau jusqu'à son lit, où il veilla sur elle jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Il pouvait enfin la remercier convenablement pour toute ce qu'elle avait fait pour lui.
Et Le Chien Devint ?
Voilà trente ans qu'il est l'alpha de cette meute si particulière. Trente ans où il porte le surnom de Jabberwocky. Sa priorité absolue était les ordres de la reine qui avait instauré son règne sur la côte Est de le Nouvelle Orléans, ainsi que la protection d'Astoria et celle Primrose, même si ces dernières se débrouillaient très bien toutes seules. Il avait aussi sa meute à gérer. En tant qu'Alpha, il ne devait montrer aucun signe de faiblesse. La drogue créée par la "princesse" l'aida à garder un ascendant sur les autres loups. L'Italien avait veillé à les rendre accros tandis que lui fuyait les pastilles à l'odeur de rose comme la peste.
Du moins, c'est ce qui était prévu. C'était sans compter sur le temps qui prenait petit à petit son dû sur le loup vieillissant. Si ce n'était que quelques cheveux gris, il n'y aurait pas eu de quoi en faire toute une histoire. Par contre, lorsqu'il s'agissait de réflexes qui commençaient à s'émousser parce que le corps ne suivait plus, là, il y avait des raisons de s’inquiéter.
C'est ce qu'il lui arriva alors que la garde royale traquait des vampires rebelles afin de leurs régler leurs comptes avant que des shadowhunters ou d'autres guildes de gêneurs ne leur tombent dessus. Il ressortit de cette mission blessée, affaibli et avec une partie des cibles ayant pris la fuite. Un semi-échec que Primrose corrigea dès qu'elle vit son état tandis que Lucius se chargea de nettoyer les traces du carnage causé par l'As de coeur. Le lendemain, un loup de sa meute ayant des rêves de grandeur le défia, voyant dans la mission précédente une faille exploitable pour ravir le titre d'alpha. Ne pouvant se permettre de perdre un tel duel, Lysandro prit pour la première fois du Redstar, la drogue conçue par Primrose, celle qu'il avait pourtant juré de ne jamais prendre. Ensuite, ce qui ne devait être qu'un cas isolé devint une prise systématique avant chaque mission, chaque combat à venir. En un rien de temps, il fut accro. Tout ce qu'il pouvait faire était de cacher au mieux les signes de sa dépense.
Cette faiblesse lui fit réaliser une chose. Contrairement aux vampires qu'il protégeait, il n'était pas éternel. Lysandro commença doucement à réfléchir à un avenir où il serait absent. Que deviendrait la garde royale ? Et surtout, le fait qu'il ne sera pas toujours là pour veiller sur Primrose. Dans ce but, il commença à chercher celui qui deviendra Alpha à sa place. Un projet qu'il garda aussi secret que sa dépendance. Un double secret qui l'obligeait à mentir à la personne qu'il aimait le plus au monde. Sa sauveuse, Primrose.
Le jour du bal, il faillit tout avoué. Sa dépendance en était un stade où il commençait à en prendre même hors mission. Il ne pouvait plus la nier tout comme il ne pouvait plus nier le poids que représentaient ses mensonges. Le jour du bal, il renonça à cet aveu, enterrant au plus profond de lui-même tout ce qu'il s'était apprêté à dire. La raison ? Un coup d'éclat qui vint perturber les réjouissances et changera à jamais l'équilibre de cette famille si particulière. La vérité sur les origines d'Astoria avait éclaté, provoquant le départ de cette dernière. Ce n'était pas le moment d'avouer sa faiblesse. Il devait être fort, plus fort que jamais, surtout maintenant.
Lysandro envoya certains de ces loups auprès du cirque que la vampire avait repris en main après son départ. Officiellement, ils devaient feindre d'avoir déserté la meute, officieusement, ces loups étaient ses yeux et ses oreilles lui permettant de continuer à veiller discrètement sur elle. Ce n'était pas suffisant pour le rassurer, mais c'était tout ce qu'il pouvait faire. ça et être présent auprès de Primrose. Bien plus qu'auprès de sa reine qui connaissait pourtant le même chagrin. Il essaye, le plus souvent maladroitement de réparer ce qui a été brisé lors de ce jour maudit de bal, tout en sachant que son propre secret n'en sera pas éternellement un. Il doit juste tenir. Et après... Après, qui sait ce que réserve l'avenir ?