Just one more time before I go. Nobody can save me now and I feel so alive. King is crown, it's do or die. The only sound. It's the battle cry.
1432 ▬ Le bruit des épées en bois retendit dans la riche demeure des Von Zedlitz. Le jeune Amalrich, tout juste âgé de dix ans, peine à contrer les assauts du chef de famille. Ce dernier n'adoucit aucunement la force de ses coups face à l'enfant. Une esquive trop tardive, une douleur à la main, et le bruit de l'épée de bois du gamin retentit sur le sol.
"Ramasse-la !" Ordonne son père. L'enfant, qui sert contre lui sa main endolorie, ouvre la bouche pour protester. Son père se rue sur lui, en deux mouvements, l'enfant se retrouve à terre avec une lame de bois contre sa gorge. "
Je tiendrais une vraie épée, tu serais mort." L'informa son père, sans une miette de compassion, en appuyant davantage la lame de bois contre la carotide.
"Un soldat ne proteste pas et ne baisse jamais sa garde. Maintenant, debout !" Amalrich étouffe un sanglot et obéit avant de se prendre une nouvelle volée d'estocs. De toute façon, quel autre choix avait-il ? Sa mère était morte en lui donnant naissance. Il n'avait aucun jupon bienveillant vers qui courir pour se plaindre de la rudesse des entraînements. Pourtant, il le savait, Amalrich n'avait pas le droit de se plaindre. Combien de familles avaient migré jusqu'en Prusse dans l'espoir d'y obtenir une vie meilleure et combien l'avaient réellement obtenue ? Son père racontait toujours fièrement cette histoire. Il y a deux siècles, la famille Von Zeldlitz avait quitté leur Allemagne natale et, à force de travail et d'acharnement, avait pu obtenir de cette nouvelle terre promise à la fois titre de noblesse et domaine à gérer. Ils n'étaient qu'une poignée à pouvoir en dire autant. L'histoire se terminait toujours par la même conclusion, dictée et répétée par son père comme un ordre : Amalrich devait s'estimer heureux de sa vie et être fier de porter le nom des Von Zeldlitz. Oui. Heureux et fier.
*****
1438 ▬ la règle de bois tape dans les mains de son père tandis que son regard sévère inspecte son fils, âgé de seize ans, tout en lui tournant autour. Amalrich se crispa dans l'attente du verdict. Le coup de latte fusa dans son dos, lui arrachant un cri de surprise.
"Dos droit. Menton fier." Lâcha son père.
"C'est ainsi qu'un noble doit se tenir." L'adolescent suivit les directives du mieux qu'il put, essayant d'ignorer cette nouvelle douleur dans son dos.
"Bien. Passons à l'épée." Conclut son père. Bien ou acceptable, c'était les seuls mots proches d'un compliment auquel Amalrich avait droit.
"Mais, père, il n'y a plus de guerre." Osa protester l'adolescent, comme pour souligner la vacuité d'un entraînement aussi acharné que journalier. Son père s'arrêta et poussa un soupir. Quelque part, cette réaction était bien pire que les coups ou les remarques acides. Cela donnait la sensation à Amalrich d'être un cas désespéré, comme s'il ne méritait même pas les remontrances. L'adolescent baisse les yeux de honte devant ce soupir.
"Mon fils, il y aura toujours des combats. Ce que tu obtiens, que se soit par la force, par le mérite ou par ta naissance, tu devras toujours lutter pour le garder. Tu devras continuellement prouver aux autres que tu en es digne." Répondit-il en se mettant en garde. Amalrich se rua sur sa propre épée, sachant que son père n'attendrait pas qu'il soit prêt pour commencer sa leçon. Surtout qu'ils s'entraînaient avec de véritables lames depuis quelques mois.
Cette phrase, le chef de famille la répétera à la moindre protestation, telle une excuse pour se montrer aussi intransigeant envers son héritier. Un entraînement tellement strict, qu'Amalrich entendait encore le bruit des lames s'entrechoquant lorsqu'il fermait les yeux, chaque nuit.
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1443 ▬ Le doigt d'Amalrich pianote contre le garde du sabre à sa ceinture comme s'il hésitait à le dégainer pour s'en servir. Devant son regard sévère se tenait un groupe de paysans tenant fermement une demoiselle à la chevelure flamboyante et aux joues parsemés de taches de rousseurs. Tous baissent les yeux devant ce regard et cette posture autoritaire incruster dans le jeune noble par des années d'éducation stricte. Tous sauf elle. Elle, elle le regarde droit dans les yeux, entre défi et bravoure, ses mains refermées autour de son ventre comme si elle craignait qu'il lui arrache son précieux enfant à naître. Rien que son attitude rebelle pique son intérêt. Avec une raideur calculée, Amalrich s'approche. Les paysans courbent l'échine d'avantage tandis que la rouquine reste toujours aussi droite. "
Ce serait elle, la sorcière ?" Demanda-t-il, glissant un doute dans sa question impérieuse. Depuis un an, c'était à lui de gérer ce genre d'affaire. Le moindre problème, mais aussi la moindre rumeur ou la moindre protestation venant des paysans travaillant sur son domaine. C'était son devoir maintenant que son père était mort. Amalrich n'avait ressenti aucun soulagement, aucune quiétude devant la fin du rythme effréné que son père lui avait imposé depuis son plus jeune âge. Il avait ressenti uniquement le vide, l'absence de cette présence autoritaire qu'il devait à présent endosser et le poids de l'héritage qui était devenu le sien.
Le jeune homme écouta attentivement les accusations. On rendait la rouquine responsable de la mauvaise récolte, on l'accusait d'un pacte avec un démon et de porter l'enfant de cette créature infernale. Amalrich regarda avec le plus grand sérieux un paysan se saisir des mèches rousses de la femme en les brandissant vers lui comme s'il s'agissait de la preuve ultime pour appuyer ses dires. Le jeune noble doutait de la véracité de ces accusations. Il ne doutait pas de l'existence des sorcières ou du diable, seulement du fait qu'une véritable sorcière assez puissante pour détruire des récoltes se laisse tranquillement traîner jusqu'ici. Au fond, l'important n'était ni la pertinence de ces accusations ni même la vérité. L'important était ce qu'on dirait de son jugement. Son père avait eu mille fois raison sur ce point. Ce qu'on obtient, il faut le défendre continuellement. Le moindre doute sur son jugement pouvait faire souffler un vent de révolte. D'un autre côté, il ne se voyait pas prendre deux vies à cause d'un argumentaire aussi mince. Tout était une question d'équilibre.
"Le temps de la naissance de l'enfant, je place la sorcière sous mon étroite surveillance. Ensuite, les deux seront soumis au jugement. Concernant les récoltes perdues, les pertes seront remboursées au double de la valeur marchande." Trancha-t-il sans hésitation, ainsi il étouffait dans l'oeuf toute tentative de protestation. Il fit un geste en direction de la porte.
"Mon intendant se chargera de la part pécuniaire de mon verdict." Une manière de signaler que l'entretien était clos.
- Votre nom ?" Demanda-t-il dès l'instant où il fut seul avec la rouquine, toujours la main sur la garde de son sabre comme s'il se tenait prêt à commencer un duel.
- Sorcière ne vous suffit plus ?" Réplique la rouquine en haussant un sourcil.
- Vous avouez être une sorcière ou bien aimez-vous être appelée par un mensonge ?" Riposta-t-il, amusé par l'impertinence de son interlocutrice.
- Quelle importance ? Il est question ici de devoir et non de vérité, n'est-ce pas ?" Devina-t-elle avec pertinence. Son ton était toujours aussi acerbe tandis que son regard se baissa avec une certaine fatalité sur son sort.
Il lui fallut un mois entier avant d'obtenir le prénom de la supposée sorcière, Jana, et un autre mois pour obtenir sa version des faits. Comme il le pensait, il n'était pas question de pacte, d'enfant du diable ou de malédiction. Juste une femme ayant accordée sa confiance à la mauvaise personne et qui avait crue que partir s'installer ailleurs offrirait une meilleure chance au futur enfant. L'avoir sous son toit était comme apprivoisé un animal sauvage. Vive d'esprit, elle mordait au premier signe de douceur ou même de politesse, avant de finalement s'adoucir en voyant que ces traits d'esprit lui étaient rendus avec la même vivacité. Sorcière ou non, huit mois avait suffi à Jana pour voler le coeur d'Amalrich.
Jana donna naissance à un fils auquel elle refusa de donner un prénom.
- Pourquoi pas Stefan ?" Proposa Amalrich.
- Quelle importance, il mourra lors du jugement et peut-être sa mère aussi." Répondit Jana en berçant le nouveau né avec tristesse.
- Dans ce cas, ce sera Viktor pour lui porter chance. Viktor von Zedlitz... Du moins, si tu le veux ?" Demanda-t-il en posant un genou à terre et tendant une bague. Jana ouvrit la bouche de surprise et une larme non de tristesse mais de joie roula sur sa joue. Une fois n'était pas coutume, aucun trait d'esprit ne franchit ses lèvres, seulement un simple oui.
Bien sûr, il y eut un jugement. Amalrich ne pouvait aller à l'encontre de sa parole. Un jugement dont il avait truqué le verdict d'avance en payant les bonnes personnes, mais qui resterait rude à supporter car il se devait de paraître authentique. Pendant toutes les épreuves, Jana tenait fermement l'anneau dorée dans sa main, cherchant à y puiser de la force et l'espoir que demain sera meilleure. Quelques jours après le verdict, Amalrich refit sa demande en bonne et due forme et ils se marièrent. Il y eut forcément des ragots devant cette union. Des histoires de sorcière ayant jeté un sort au jeune noble pour lui dérober son coeur et obtenir la liberté. Le fait qu'Amalrich n'y prêta aucune attention était la meilleure preuve de la sincérité de son amour.
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1454 ▬ Voilà deux ans que la demeure résonnait de nouveau du choc des épées en bois. Le jeune Viktor, âgé maintenant de onze ans, s'entraîne avec l'homme qu'il considère comme son père. Le tableau aurait pu paraître familier, excepté le fait que des rires remplaçaient la rigueur d'antan. Ne voulant pas imiter la discipline excessive de son propre père, Amalrich laisse son fils adoptif mener le duel, se contentant de se défendre en lui opposant une résistance calculée. Lorsque lui-même doit passer à l'offensive, il s'assure à ce que le garçon voie le coup venir suffisamment à l'avance pour le parer. Au bout de quelques échanges énergiques, il laisse un trou dans sa garde, de manière si grossière qu'on aurait pu croire à un piège. À la place, Amalrich se laissa toucher lorsque Viktor s'engouffra dans cette faille intentionnelle. Sous les rires du jeune garçon, le père feint d'être mortellement blessé en tombant à genoux avec exagération.
- Père, puisque je vous ai battu en duel, laisse-moi vous accompagner. Je vous protégerais." Supplia le garçon.
- Impossible. Qui protégerait ta mère si je laisse mon meilleur soldat partir avec moi ?" Demanda Amalrich en ébouriffant la tignasse noire de Viktor avec tendresse.
- Pèèrrreeee, arrêtez, j'ai passé l'âge." Protesta l'enfant en se plaquant ses mains dans les cheveux pour se recoiffer avec une mine boudeuse, ce qui provoqua un rire chez son père adoptif.
- Fort bien, alors file à ton poste, mon petit soldat." Déclara-t-il en pointant la porte avec son épée d'entraînement.
Viktor exécuta un salut avant de courir en direction du salon. Le temps qu'Amalrich le rattrape et Viktor s'était déjà empressé de raconter sa victoire à sa mère. Jana joua l'auditrice attentive en interrompant son travail de couture sur la veste d'uniforme de son époux. Ensuite, elle envoya son fils lui chercher quelque chose, ce qui n'était qu'un prétexte pour le faire sortir de la pièce. L'enfant, motivé par la
"mission" donnée, obéit avec enthousiasme.
- Dois-je m'inquiéter pour mon époux si un simple enfant arrive à lui faire mordre la poussière aussi facilement ?" Demanda-t-elle, les yeux pétillant de malice lorsque l'enfant fut sorti.
- Je doute que l'armée adverse possède des soldats aussi enthousiastes que notre Viktor." Se défendit-il en s'approchant pour embrasser son épouse sur le front. Il se penche ensuite sur son travail et suivit du doigt une ligne de couture nouvelle sur la doublure de la veste.
"Aurais-je finalement épousé une sorcière qui viendrait d’ensorceler ma veste ?"- Bonté divine, si je te disais oui, tu serais capable de te jeter contre les lignes ennemies en te croyant invincible !" Rigola Jana.
"Non. Juste une mèche de cheveux, de moi et de l'enfant. Rien de magique. C'est une sorte de... Vieille superstition de grand-mère pour me rassurer, pour que tu n'oublies pas de nous revenir." Expliqua-t-elle avec le regard aussi mélancolique que lors de leur première rencontre.
- Cette guerre ne durera pas éternellement. Dès notre indépendance acquise, je reviendrais. La liberté ne vaut-elle pas de se battre pour elle ?" Assura Amalrich en l'embrassant pour la rassurer. Jana se leva et posa la veste sur les épaules de son époux.
- Je préférerais avoir un mari en vie qu'un pays libre..." elle pose un doigt sur les lèvres du noble qui voulut protester.
"Je sais que rien de ce que je dirais ne te fera changer d'avis, alors, fais-moi le plaisir de gagner cette guerre au plus vite." Ajouta-t-elle. Viktor entra de nouveau en ramenant fièrement sa prise, Jana s'empressa d'écraser les larmes qui menaçaient de couler avant de se retourner vers l'enfant. Devant l'enfant, les deux parents étaient unis par le même espoir : pourvu que la guerre cesse avant que Viktor ne soit en âge de s'engager dans l'armée.
*****
1466 ▬ De par son appartenance à la noblesse, il avait reçu un poste de gradé dès la déclaration de la guerre. Pourtant, jamais on ne le voyait rester derrière les lignes avec les autres nobles. On le trouvait plus facilement en première ligne, luttant aux côtés des hommes sous ses ordres. Amalrich n'avait pas oublié les paroles de son père sur le fait de devoir continuellement prouver sa valeur, mais il y avait une autre raison qui le poussait à agir ainsi. Les conflits semblaient avoir réveillé quelque chose en lui, comme si l'entraînement sévère reçue depuis son enfance trouvait enfin un sens. Il éprouvait une certaine satisfaction dans cette guerre. À ses yeux, il n'y avait rien de plus pure qu'une bataille. L'emporter parce qu'on avait réussi à se montrer plus fort ou être tué par un adversaire plus habile que soi. Les autres nobles désertèrent petit à petit les champs be bataille d'un conflit qui s'enlisait tandis que lui demeurait aussi motivé que lors du premier jour. Il se surprenait même parfois à souhaiter que cette guerre ne trouve jamais de fin.
Cela finit par arriver, pourtant. Après treize années de guerre, un traité était en cours de négociation. Ce n'était pas la première tentative, mais, cette fois, on soufflait que le Pape en personne était venu jouer les médiateurs. Déjà les rues de Könitz, la dernière ville conquise par la confédération prussienne, étaient traversées par l'allégresse de la victoire et surtout de soulagement de voir un si long conflit enfin se terminer. Seul Amalrich gardait la mine sombre. Il supervisait et aidait aux préparatifs de départ mais le coeur n'y était pas. Son regard se portait régulièrement vers l'horizon, comme s'il guettait l'arrivée de quelqu'un mais, surtout, il semblait surveiller la course du soleil qui s'approchait de son couchant.
Un bruit de pas lui parvint dans son dos, par réflexe, le soldat posa la main sur la garde de son sabre avant de se retourner, puis se détendit en voyant qu'il s'agissait de son fils adoptif.
- Viktor, tu es fou d'arriver ainsi dans mon dos." Le sermonna-t-il. Amalrich avait retardé jusqu'au dernier moment l'enroulement de son fils adoptif dans son bataillon, ce qui ne l'empêchait pas d'éprouver une certaine fierté à chaque fois qu'il le voyait porter l'uniforme.
- Père, je vous cherchais, les troupes retournent à Marienbourg, nous devrions en faire de même.- Toi, va. J'attends le retour de mes éclaireurs. J'ai une dernière chose à régler avant que la paix ne soit officielle." Expliqua-t-il en reportant son regard vers l'horizon.
- Nous sommes en période de trêve." Lui rappela Viktor, les sourcils froncés par la perplexité. Cela ne ressemblait pas à son père d'adoption de manquer à ce genre de serment.
- Ce qui me préoccupe est un cas à part." Comment expliquer à Viktor que cette trêve et le traité de paix en cours lui laissait un goût d'insatisfaction en bouche ? Au point qu'il se rue vers un prétexte afin de livrer un ultime combat. Comme si le ciel avait entendu sa requête, un éclaireur revint, encore essoufflé par sa course et lui murmura un message. Un mince sourire de satisfaction effleura les lèvres d'Amalrich. Il remercia l'éclaireur, lui tapotant l'épaule en lui signalant qu'il pouvait rentrer, que son rôle dans cette guerre était fini.
"Toi aussi, Viktor, rentre. Je te rejoins sous peu." Il aurait dû s'en douter, mais, le jeune homme le suivit à la trace alors qu'il s'éloignait.
- Encore cette histoire de mercenaire ?" Protesta Viktor, accélérant le pas pour suivre la cadence. Pendant que le conflit s'enlisait, toutes sortes de rumeurs avaient parcouru le rang des soldats. Celle d'un mercenaire ne sortant qu'a la nuit tombée pour effectuer des massacres était la plus vivace. Amalrich avait toujours vu cette histoire comme une légende urbaine, jusqu'à ce que le mercenaire ennemi manque de décimer son bataillon en entier. D'ailleurs, il soupçonnait que la victoire décisive pour la prise de la ville n'ait pu être possible uniquement parce que l'attaque finale avait été faite en plein jour.
- Je veux le débusquer avant la tombée du jour." Déclara Amalrich en serrant de nouveau la garde de son épée. Une part de lui voulait croire que ce sentiment d'insatisfaction n'était dû qu'à une vengeance non assouvie. Une part de lui voulait croire qu'à la mort du mercenaire, il pourrait retourner à la quiétude de son domaine sans avoir ce goût amer en bouche, ne plus avoir l'impression que la fin de la guerre le privait de sa raison de vivre.
- Ce n'est qu'un mercenaire, il est certainement parti dès l'annonce de la trêve. Et même s'il est encore ici, à quoi bon ? La guerre est finie !" Objecta le jeune homme.
- Je ne t'oblige pas à m'accompagner." Amalrich s'arrêta pour se retourner. Le mouvement fut si vif que Viktor sursauta en reculant.
"Non, en réalité, je t'interdis de m'accompagner."- Si vous vous entêtez dans ce projet, alors, il n'y a aucune raison pour que je ne vienne pas avec vous." Déclara Viktor sur un ton qui se voulait sans réplique.
- Il suffit, Viktor. Je suis ton père et ton supérieur, et c'est sous ce double rôle que je t'ordonne de rentrer." Ils se toisèrent un instant en silence. Volonté contre volonté. Avant que Viktor finisse par baisser les yeux. Amalrich se détendit et poussa un soupir. Plus qu'une affaire personnelle c'est la crainte de voir son fils adoptif périr sous les coups de ce redoutable mercenaire ennemi qui le motivait à éloigner le jeune homme du combat à venir.
"Je veux que mon meilleur soldat retourne auprès de sa mère. Les pillages sont nombreux lorsqu'une paix approche." Prétexta-t-il en lui passant affectueusement une main dans les cheveux, comme à l'époque où il n'était qu'un enfant.
- Bien, père." Murmura-t-il en réprimant une moue boudeuse, mais ne cherchant pas à fuir ce geste affectueux.
- Je te rejoins vite." Promit le noble, il attendit ensuite que le jeune homme soit parti avant de reprendre sa marche.
En chemin, Amalrich alla trouver d'autres combattants comme lui qui ne voulait pas partir sans un dernier baroud d'honneur et qui, surtout, avait perdu des amis ou des frères à cause de ce mystérieux mercenaire. Des personnes plus soucieuses de leurs vengeances que pour leur vie. Ensemble, ils purent traquer le mercenaire dans la tanière indiquée par l'éclaireur. Là s'arrêta la partie facile. Même dos au mur, l'ennemi se montra un combattant féroce. Plusieurs soldats tombèrent sous des coups faits avec une étonnante rapidité. Peut-être seraient-ils tous mort sans un revirement au cours du combat. La porte s'ouvrit brusquement, laissant entrer le soleil couchant à flot. Le mercenaire se tapis dans l'ombre avec un sifflement rageur.
- Père !" Cria Viktor en voyant son père en difficulté. Il dégaina son sabre. Se faisant, la porte se referma à moitié, élargissant la zone d'ombre. Pour la première fois, l'ennemi prend la parole.
- Père ?" Ironisa-t-il. Son regard passa du nouveau combattant à Amalrich et le noble senti un étau glacé de terreur se refermer autour de son coeur.
- Viktor ! Je t'avais interdit de me suivre !" S'alarma ce dernier.
En un instant, l'ennemi fut sur le jeune homme et Almalrich chargea, s’abattant de tout son poids dans une ruade contre l'ennemi. Tous deux au sol, la suite ne fut qu'une succession confuse de roulade et de coups de poings, jusqu'à ce que le mercenaire le plaque au sol. Son adversaire agenouillé de tout son poids sur son torse, le noble s'attendait à tout instant à être achevé. Au lieu de cela, l'ennemi se mordit le poignet avant de plaquer la plaie contre la bouche de son prisonnier. Amalrich sentit le gout métallique du sang se verser dans sa bouche. Il s'agita, lutta de toute ses forces. Il arriva à se saisir d'un couteau à sa ceinture et taillada sauvagement le côté de son adversaire. En vain, le mercenaire tenait fermement sa prise. Pire, il riait autant des tentatives du noble pour se dégager que celle des survivants qui transperçait le dos de l'ennemi avec leurs lames.
- Tu aurais dû rentrer chez toi, petit noblion." Souffla le mercenaire.
"Je mourrais peut-être aujourd'hui, mais à toi, je promets bien plus de souffrance. Tu verras tout ce que tu as si chèrement défendu partir en cendre, ce sera ta malédiction et ma vengeance." Sur ces mots, l'ennemi finit par lâcher prise et se laissa tirer en arrière.
Amalrich toussa et cracha le sang qu'il avait encore en bouche, essayant d'ignorer celui, en grande quantité, qu'il n'avait eu d'autres choix que d'avaler. Il sentit son fils l'aider à se lever. Lentement, il s'était approché de l'ennemi qui était solidement maintenu par les survivants du petit groupe. Le mercenaire riait, jusqu'au moment où Amalrich lui trancha la gorge. Le noble fit ce geste encore et encore jusqu'à ce que la tête de l'ennemi tombe.
*Il aurait pu se libérer à n'importe quel moment. Il s'est laissé tuer. Pourquoi ?* Avait-il eu le temps de penser avant que lui-même s'écroule au sol à cause de ses blessures.
*****
1466, plus tard ▬ Des jours, des heures de souffrances, de fièvres et d'agonies. La rumeur ne tarda pas à dépasser les frontières du domaine. Le seigneur Von Zedlitz était souffrant, enfermé dans sa chambre où les tentures restaient solidement fermées. On le disait si faible qu'il ne supportait plus la lumière du soleil. Trop faible pour quitter le lit. Les docteurs ne comprenaient rien au mal qui le rongeait. Voilà une rumeur qui ne manqua pas d'attirer la convoitise en tombant dans des oreilles malintentionnées. Paix ou non, il y avait toujours des gens pour envier les possessions du riche voisin. De cela, Amalrich n'en sut rien dans un premier temps, tout comme il ignorait que le sang avalé du soldat ennemi l'avait transformé et non empoisonné comme il l'imaginait. Ne racontait-on pas que les sens d'un condamné devenaient plus aiguisés alors que la fin approchait ? Et cette soif impossible à tarir, qui lui coupait l'appétit. Il faiblissait de jour en jour, dévorer par cette soif. Même le sommeil ne lui accordait pas l'instant de paix qu'il recherchait. Trop court, trop agité, sans cesse parasité par le moindre bruit, comme maintenant où il entendait tout de la dispute qui avait lieu non loin de sa porte. Il reconnut la voix de Jana et de Viktor.
- C'est de la folie, je t'interdis d'y aller.- Mère, je ne suis plus un enfant, vous ne pouvez pas me l'interdire.Péniblement, Amalrich avait quitté son lit pour ouvrir la porte :
- Que se passe-t-il ici ?" Demanda-t-il d'une voix faible mais autoritaire. Son souffle était court et son front fiévreux.
L'inquiétude de Jana se reporta sur l'état de son époux, tandis que Viktor avait l'attitude du gamin pris en faute, bien qu'il ait dépassé la vingtaine d'années.
- On nous signale des pillages aux frontières du domaine. J'allais prêter main-forte aux villageois." Raconta le jeune homme en posant sur son père malade un regard déterminé.
- Non, c'est à moi d'y aller. Qu'on m'apporte mon sabre et qu'on attelle un cheval." Ordonna Amalrich. Il essaya de faire un pas et chancela, se rattrapant de justesse à son épouse qui s'était empressée de l'aider.
- Père ! Dans votre état ?" S'inquiéta Viktor. Le jeune homme serra les poings traversé par une expression d'amertume.
"Avez-vous honte de moi à ce point pour risquer votre vie en y allant à ma place ?"- Viktor... Qui t'a mis cette idée en tête ?" S'étonna le malade, troublé que son fils puisse penser ainsi.
"Je n'ai jamais eu honte de toi !"- Non ? Alors pourquoi m'avoir interdit de vous accompagner durant la guerre jusqu'au moment où vous n'avez pas eu le choix ? Et, même alors, je n'avais droit qu'à des missions liées aux vivres et aux munitions, loin des conflits et des lignes ennemis ! Je n'ai jamais pu combattre à vos côtés !" Viktor marqua une pause pour reprendre son souffle.
"Est-ce parce que je ne suis pas de votre sang ?" Finit-il par demander, visiblement torturer par cette pensée.
- Que tu sois de mon sang ou non n'a jamais eu aucune importance pour moi. Tu es mon fils." Répondit Amalrich lorsqu'il fut remis de la gifle qu'avait représente le discours du jeune homme.
- Alors montre-moi que j'ai eu tort d'en douter. Tous attendent qu'un Von Zedlitz règle le problème. Vous n'êtes pas en état, laisse-moi y aller à votre place !" Assura Viktor.
Un silence de plomb tomba tandis que le Prussien se sentit tirailler. Était-il en droit de refuser face à autant de déterminations ? D'un autre côté, il savait aussi les piètres talents de bretteur de son fils adoptif.
- Refuse. il t'écoutera." Lui souffla Jana, traverser par la même crainte que son époux.
- Crois-tu ? Je connais ce genre de regard." Lui souffla en réponse le malade. Non, ils savaient tous les deux que personne ne pouvait faire changer d'avis le jeune homme avide de faire ses preuves.
"Va me la chercher." Demanda-t-il à la rouquine, avant de se tourner vers son fils adoptif.
"Tu as ma bénédiction mais, je veux que tu prennes quelque chose avec toi, en plus de ton sabre." Il suivit sa femme du regard qui s'empressa de ramener un fusil.
- Père !" Viktor recula, horrifier par l'objet, mais surtout par ce qu'il représentait.
"C'est l'arme des lâches ! C'est ce que vous avez toujours dit !"- S'il te plaît, Viktor. Prends-le." Amalrich se saisit de l'arme et obligea son fils à le prendre à son tour en main avec une force qui étonna le jeune homme.
"Cela me rassurera. Vois cela comme l'excentricité d'un homme malade." Ajouta le noble dans une tentative pour effacer les réticences du jeune homme. Un nouvel instant de silence suivit, avant que Viktor ne se contente de hocher la tête. Tandis que le fils baissa les yeux, le père lui tapota doucement l'épaule en essayant de sourire malgré l'inquiétude qui lui nouait les tripes.
"Merci."Ce fut la dernière fois qu'Amalrich vit son fils adoptif en vie. À peine une heure plus tard, un jardinier trouva le fusil, jeter dans les buissons. Le lendemain, on ramena le corps sans vie de Viktor. Les témoins vantèrent la bravoure du jeune homme, cela n'apporta aucun réconfort à ses parents endeuillés. Amalrich ne pouvait s'empêché de penser à tous les entraînements où il avait laissé gagner son fils et se sentir responsable. Si seulement il avait été plus sévère... Peut-être que Viktor serait encore en vie.
*****
1467 ▬ Amalrich contempla le verre que lui tendait son épouse. Sa respiration devint sifflante devant le liquide rouge qu'il contenait. Quelque chose en lui voulait se ruer sur ce verre, sans doute l'aurait-il fait s'il en avait eu la force. La soif et le chagrin le faisaient lentement mais sûrement dépérir, pour la plus grande inquiétude de Jana qui se refusait de perdre son mari après avoir perdu son fils.
- Est-ce du vin ?" Demanda-t-il, trop faible pour être véritablement soupçonneux ou perplexe. L'odeur lui était familière, mais plus intense que lorsqu'il l'avait senti auparavant sur les champs de bataille. Non, ce n'était pas du vin et il le savait. Sa question n'avait été posé que dans le but de se rassurer.
- Bois." Lui recommande Jana en approchant davantage le verre.
"Ne m'oblige pas à te forcer, tu sais que j'en serais capable."Amalrich obéit. D'abord, il but une mince gorgée, puis il avala le reste du verre avec avidité. Fermant les yeux, le soldat poussa un soupir en se laissant retomber sur son oreiller. Il avait l'air d'un nageur en train de se noyer qui venait de recevoir une bouffée d'oxygène salvatrice. La soif qu'il avait pensée intarissable venait de s'apaiser pendant un bref instant. Calmée sans être complètement rassasiée. Il n'ouvrit les yeux que lorsqu'il sentit la main de son épouse lui caresser la joue.
- Tu sais quelques chose..." Souffla Amalrich remarquant le bandage qui couvrait le poignet de Jana.
- Ce n'est rien. Juste une vieille superstition de grand-mère." Lui assura son épouse avec tendresse.
Le soldat prussien s'accrocha à ce mensonge. Deux fois par semaine, sa femme revenait dans la chambre avec son verre de
"vin" et le noble fit de son mieux pour ignorer le bandage et les cicatrices qui parsemaient le bras de la rouquine. Le remède était parfois pire que le mal. La soif devenait beaucoup plus vivace lorsqu'elle refaisait surface après le moment d'accalmie que le verre bu pouvait procurer.
D'autres rumeurs commencèrent à circuler. Le genre de bruits de couloirs qui fit partir un a un les serviteurs de la riche demeure. Jusqu'au jour où ils ne restèrent plus qu'eux. Ce n'était plus une vie, juste de la survie. Amalrich s'accrochait à la volonté de son épouse, ignorant tout le reste. Du moins, il essayait. Certaines nuits, un doute lui serrait le coeur d'angoisse sur ce qu'il était devenu. Un doute venant des sermons entendus ô combien de foi lors des messes.
*****
1467, plus tard ▬ Un cri et le bruit du verre qui se brise tirèrent Amalrich de son sommeil. Avec une vivacité et une force qu'il ignorait avoir, le soldat s'était levé pour se saisir de son épée avant de sortir. Il avait reconnu le cri de Jana. En un instant, il se retrouva sur le lieu du drame. Les pillards étaient revenus. Deux d'entre eux molestaient son épouse tandis que les autres se servaient allègrement dans les armoires, brisant sans hésiter les vases et autres décorations fragiles qui ne suscitaient pas leur intérêt.
Il vit ce qui semblait être le chef de cette bande de rats s'approcher de Jana avec impatience.
- Où sont l'or et les bijoux ? Parle, bougresse !" Ordonna-t-il en serrant le cou de la rouquine.
Il n'en fallut pas plus pour que le propriétaire des lieux manifeste sa présence.
- C'est de l'acier que vous allez récolter si vous ne partez pas immédiatement, vermine !" S'emporta Amalrich. Il voulait s'avancer mais recula en poussa un cri de surprise. Une des épaisses tentures couvre les fenêtres avaient été en partie déchirer par les pillards et un rayon de soleil avait toucher la main du noble. Avec incrédulité, le noble contempla sa main portant à présent des marques de brûlures. Il n'eut pas le temps de réaliser pleinement ce qu'il venait de vivre. Le chef des pillards s'était montré vif. Ses hommes avaient plaqué Jana face contre terre, le chef s'était agenouillé et tenait un couteau contre la gorge de la rouquine.
- Tu fais un pas de plus, le noble, et elle rejoint ton bâtard !" Menaça-t-il. Sous ses mots, Amalrich sentit le monde s'écrouler sous ses pieds.
L'instant suivant, le bandit était mort. Amalrich s'était rué sur lui à une vitesse surnaturelle, emporter par sa colère et par sa soif, il avait lâché son épée et planté ses dents dans le cou de sa victime. Le noble ne réfléchissait plus. Même les cris d'horreur des comparses de cette racaille n'étaient rien de plus qu'une nuisance sonore. La douleur du soleil sur sa peau alors qu'il tuait un à un les pillards n'était que secondaire tout comme le sang qui dégoulinait de sa bouche. Il n'était plus qu'une boule d'instinct sauvage et de colère. Le noble eut le dernier avec un lancer vif du couteau pris sur le cadavre de sa première victime. Un talent qu'il ne possédait pourtant pas avant.
Le dernier corps heurta le sol et Amalrich se laissa tomber à genoux après avoir gagné un coin d'ombre. L'effet de l'adrénaline et de sa colère avait cessé. Il poussa un long soupir. La soif avait totalement disparu comme si elle n'avait jamais existé, de même que ses brûlures. La voix de Jana lui fit relever la tête.
- Amal... Qu'as-tu fait ?" Murmura-t-elle avec horreur, les yeux écarquillés devant la scène.
- Jana... Je... Dieu soit loué, tu n'as rien." Souffla Amalrich. Tout était encore si confus, comme si ce qui venait de se passer n'était qu'un rêve.
- Dieu n'est nullement responsable de ce qui vient de se passer." Répondit la rouquine. Pendant un horrible instant, Amalrich redouta qu'elle ne le fuie. Au lieu de cela, son épouse se saisit d'une tapisserie et s'approcha pour recouvrir son mari avec avant de l'aider à se lever.
"Tu dois te reposer." Lui avait-elle murmurer et Amalrich se laissa guider, protéger des rayons du soleil par la tapisserie.
Le soldat finit par s'endormir pour le reste de la journée. La nuit était tombée lorsqu'il sentit un poids sur sa poitrine. En ouvrant doucement les yeux, il vit le visage de Jana pleurant à chaudes larmes.
"Je suis désolé... j'avais cru qu'on pouvait... qu'on arrivera à... mais... D'autres viendront et... tu... Tu vas encore..." Bredouilla son épouse en un discours incompréhensible. Le regard du vampire redescendit vers le poids ressenti et vit un pied-de-table taillé en un pieu rudimentaire, appuyer contre son torse. Amalrich ne fut pas surpris, plutôt résigné, envahi par la même mélancolie qu'avait dû ressentir son épouse lors de leur première rencontre.
"Tu vises mal..." Avait-il murmuré. Lentement, ses mains se refermèrent sur celle de la rouquine. Jana ne résista pas. Pourtant, au lieu d'écarter le pieu, il en corrigea la position pour viser le coeur.
"Le coeur est plus bas qu'on ne le pense. Le mien est tien, à jamais." Déclara Amalrich. Jana étouffe un sanglot et se penche pour échanger un dernier baiser avec l'amour de sa vie. C'est ensemble qu'ils enfoncèrent le pieu dans le coeur du noble.
Cela aurait dû être la fin, du moins, si on se fiait aux vieilles superstitions de grand-mère. Seulement, cette superstition-là ne contenait qu'un fond de vérité. Il aurait fallu couper la tête pour obtenir une mort définitive, mais, il fut facile de devenir que Jana n'avait pas le force de se résoudre à un tel geste. Amalrich plongea dans un sommeil proche de la mort, mais ce ne fut pas la fin.